- INDE - Le cinéma
- INDE - Le cinémaLe cinéma indien reste pour beaucoup de gens associé à un nom, celui de Satyajit Ray, l’auteur du Salon de musique , et à un record: huit cent cinquante-sept films en 1992, qui font de ce pays le plus gros producteur de films au monde. C’est là son double visage. Le cinéma commercial, peu connu en Occident, est destiné en priorité au marché local, tandis que ses territoires d’exportation – apanage du cinéma de Bombay – se limitent à l’Asie du Sud-Est, à l’Afrique noire et à l’Afrique du Nord, laissant au passage une empreinte durable sur le cinéma égyptien (les films musicaux des studios du Caire). À côté de cela, si le nom de Satyajit Ray n’est pas tout à fait inconnu en Inde, ses films le sont pratiquement tous en dehors du Bengale, puisque leur potentiel commercial est trop insuffisant pour justifier un doublage dans une autre langue, tandis que le sous-titrage en anglais les réserve à une clientèle de ciné-clubs (cinéphiles, critiques, cinéastes).Le miroir d’une nationLorsque Satyajit Ray se lance en 1952 dans l’aventure de Pather Panchali et tourne en décors naturels avec des acteurs non professionnels, rompant ainsi avec les lois du cinéma commercial (chansons et danses, tournage en studio, star-system), il ignore qu’il creuse irréversiblement l’écart entre un serious cinema (un cinéma dit d’auteur, montré dans les grands festivals internationaux, reconnu par la critique) et un cinéma escapist , ou d’évasion, extrêmement populaire. Si le Bengale a contribué au rayonnement international du cinéma indien, Calcutta, après avoir fait jeu égal avec Bombay et Madras, les deux grands centres de production, est devenu un pôle minoritaire. Avec quarante-deux films produits en 1992, le Bengale représente actuellement 5 p. 100 de la production nationale.S’il fallait trouver un fil conducteur au sein de cette dichotomie visible entre l’art et l’industrie, la musique pourrait être le dénominateur commun. Satyajit Ray a fait appel aux grands noms de la musique indienne (Ravi Shankar, Bismillah Khan, Ustad Vilayat Khan) avant d’écrire lui-même, dès 1961, la musique de tous ses films. D’autre part, le film musical (chansons et danses) ne représente pas un genre parmi d’autres dans la production commerciale: il est le genre qui surdétermine tous les autres. Qu’il s’agisse d’un film historique, mythologique, religieux ou d’aventures, tout film indien, d’une durée standard d’environ trois heures, contient au moins six chansons et six danses. Dans un pays qui a aimé très tôt les images animées et leur a voué un culte indéfectible, le cinéma reste aujourd’hui encore – autre phénomène d’exception – le médium dominant, celui qui offre à son public le miroir emblématique de la nation. Partout ailleurs (Amérique, Europe, Japon), la télévision assume ce rôle. Ce qui explique que le cinéma indien soit à la fois porteur de tous les espoirs (la fiction édifiante) et de tous les oublis (le réalisme n’est pas son fort), tout en étant le vecteur essentiel des valeurs morales. Malgré la marque étroite laissée par la censure, les principaux tabous de la société indienne – la religion, la politique, la violence, l’érotisme et le sexe – se lisent en creux dans le discours de chaque film, nous offrant le spectacle d’un inconscient collectif codifié par les archétypes du genre.Les pionniers, le film mythologiqueDeux dates marquent la naissance du cinéma indien. Le 7 juillet 1896, des films des frères Lumière sont montrés à l’hôtel Watson, à Bombay, et le 3 mai 1913 est projeté, à Bombay également, le premier film indien de fiction, Raja Harischandra . C’est en voyant, en 1910, au cinéma, une vie du Christ que Dadasaheb Phalke décide de transposer à l’écran divers épisodes des deux grands récits épiques que sont le R m ya ユa et le Mah bh rata . Si l’œuvre des frères Lumière est la première à être venue en Inde, c’est celle de Méliès qui, avec ses récits merveilleux et ses truquages, va être son inspiratrice pour longtemps. Lorsque Phalke tourne son film en 1912, aucun comédien de théâtre n’accepte de servir le cinéma, et il lui faut se contenter d’acteurs de troisième ordre ou d’amateurs. De plus, à cette époque, et jusqu’au début des années vingt, les rôles féminins sont tenus par des hommes, le métier d’actrice étant assimilé à de la prostitution. En 1918, Phalke réalise dans son propre studio La Naissance de Krishna , célèbre pour ses effets spéciaux. C’est en 1921, avec Sant Tukaram , qui retrace la vie d’un saint, que Phalke réalise le premier film religieux, inaugurant, parallèlement au film mythologique, un genre à part entière, le devotional film . En 1919, le premier film de fiction de l’Inde du Sud (studios de Madras), Keechaka Vadham , est également inspiré d’un épisode du Mah bh rata , centré sur les destructions commises par le démon Keechaka. En Inde, le divin pénètre tous les actes quotidiens, et on entre en contact avec lui non par la pensée, mais à travers ses manifestations, son circuit infini de représentations (peinture, sculpture), ses avatars, dont le cinéma très tôt a fait partie. Il fallait en effet que ce rapport au divin soit au préalable trivial pour qu’il puisse s’incarner à une aussi grande échelle par l’intermédiaire du cinéma. Si le cinéma hind 稜 de Bombay a délaissé progressivement le film mythologique et religieux, Madras (180 films en 1992) demeure le pôle vivant d’un genre uniquement destiné au marché intérieur.Parallèlement à Phalke, Jamshedji Framjee Madan dote l’Inde d’un circuit de salles. Il construit en 1907 la première salle de cinéma en Inde (l’Elphinstone Palace, à Calcutta). En 1923, année de sa mort, sur les cent cinquante salles que l’Inde possède, réparties sur tout le territoire, plus d’un tiers appartiennent au circuit Madan. En 1921, avec Sairandhri , film mythologique avec effets spéciaux, Baburao Painter (surnom lié à son précédent métier) s’inscrit dans le sillage de Phalke, le pionnier. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que la fréquentation du film indien reste très minoritaire puisque, en 1926, 85 p. 100 des films montrés sont étrangers. Pour la plupart américains, ils contribueront indirectement à l’essor du star-system (Zubeida, Devika Rani, Master Vithal). Le gouvernement de l’Empire britannique voit d’un mauvais œil cette influence américaine et souhaite promouvoir un cinéma plus nettement ancré dans la tradition indienne. Ce désir sera réalisé dès l’arrivée du parlant.Le film musical, le système de studiosContrairement à d’autres pays (U.R.S.S., Japon), l’Inde a très vite accepté le cinéma parlant. L’année 1931 verra l’éclosion des premiers films parlant telugu, bengal 稜, tamoul, le plus célèbre étant le film musical hind 稜 Alam Ara d’Ardeshir Irani. Auparavant, les intertitres des films muets étaient traduits en quatre langues pour toucher un large public, parmi ceux qui savaient lire. Avec le parlant, le cinéma indien est de nouveau confronté à la barrière des langues. Problème qui fait que, outre les films hind 稜 et tamouls (Bombay, Madras), on dénombre des films malal yam (Kerala), kanna ボa (Karn taka) ou telugu (face="EU Upmacr" ndhra Pradesh). Paradoxalement, cet éclatement linguistique va être résorbé par un autre élément, lié lui aussi au parlant (la musique et le chant), qui va rendre le cinéma encore plus populaire, grâce au développement croissant de l’industrie du disque et de la radio. Très vite, la danse deviendra l’espéranto du cinéma indien, et son succès, lié à son érotisme suggestif toléré par la censure, sera tel que le cinéma hind 稜 (Bombay) s’imposera comme le all india film . En effet, il est possible de comprendre l’histoire que raconte un film (mimiques appuyées, rôles archétypés) sans connaître la langue. Avec le parlant, ce sont de vrais chanteurs professionnels qui passent devant la caméra. Refroidi par la performance limitée de ces nouveaux acteurs, le cinéma indien institutionnalise en 1935 la pratique du playback singer , toujours utilisée. La star a donc un double visage. Celui qu’on voit sur l’écran (l’acteur, l’actrice) et celui qui se cache derrière: la voix, tout aussi célèbre, de celui ou de celle qui la double lorsqu’elle chante. Si les stars de l’écran sont nombreuses en Inde, perpétuels objets de convoitise d’une presse à scandale, les stars de l’ombre que sont les chanteurs contribuent, grâce au relais du disque et de la radio, à la notoriété des films. En Inde, peu de voix doublent une foule de visages différents. C’est ainsi que Lata Mangeshkar, la plus grande dame du cinéma indien, la plus invisible aussi, compte à son actif plus de vingt-cinq mille chansons de film.L’essor du film musical (27 films réalisés en Inde en 1931, 83 en 1932, 164 en 1934) va contribuer au rapide développement de l’économie du cinéma basée, comme à Hollywood, sur le système des studios, avec des acteurs et des techniciens sous contrat. Ardeshir Irani, réalisateur d’Alam Ara , fonde en 1927 à Bombay l’Imperial Film Company, spécialisée dans le film musical et le film d’aventures. En 1933, les frères Wadia fondent la Wadia Movietone, réputée pour ses films d’aventures, remakes des grands succès hollywoodiens (Tarzan , Zorro , Robin des bois ) et dont le film le plus célèbre, réalisé par Homi Wadia, est Diamond Queen (1940). C’est avec la Wadia que le cinéma indien, très protectionniste, s’habitue à copier ouvertement le cinéma américain tout en y ajoutant des ingrédients – chansons et danses – au goût du public indien. Le Hollywood masala est l’expression imagée pour désigner cette tradition, toujours en vigueur.Au début des années trente, trois studios dominent le cinéma indien. Il s’agit de la New Theatres (Calcutta), fondée en 1930 et qui produira en 1935 Devdas , du prince Barua, ainsi que les films de Debaki Bose, auteur de deux célèbres devotional : Chandidas (1932) et Puran Bhakt (The Devotee , 1933). Le deuxième studio est la Bombay Talkies, fondée en 1935 par le réalisateur-producteur Himansu Rai, l’acteur-réalisateur de Karma (1933), célèbre pour sa scène de baiser avec la star Devika Rani, et pour être le scénariste de L’Intouchable (1936) de Franz Osten, qui aborde les préjugés de caste. Le troisième studio, la Prabhat, fondée en 1929 et transférée en 1933 à Poona, siège actuel du National Film Archive, créé en 1964, a la particularité d’être le fruit d’un groupement de cinéastes (Vanakudre Shantaram, V. G. Damle, S. Fathelal). Parmi les nombreux films mythologiques et religieux émergent Sant Tukaram de V. Damle (1935), remake du film de Phalke, ainsi que le film historique Ramshastri . Le cinéaste le plus prolixe est Shantaram, puisque sa carrière s’étend de 1927 (Netaji Palkar , produit par Baburao Painter) à 1977. Maillon essentiel de l’histoire du cinéma indien, on lui doit L’Inattendu (Kunku , 1937), l’un des plus beaux films des années trente. Quant au Sud (Madras), il suivra avec la création de la Vauhini Pictures en 1939. On doit au cinéma tamoul les deux films essentiels que sont Chandralekha (S. S. Vasan, 1948), film historique aux décors gigantesques, célèbre pour la scène de danse sur des tambours géants, et Avaiyyar (K. Subu, 1953), film mythologique extrêmement soigné.L’âge d’or des années cinquanteAlors que le système des studios s’est effondré tardivement au Japon (au seuil des années soixante avec l’avènement de la télévision), l’Inde a la particularité d’avoir vu ce système péricliter très tôt sans que soit entamée la vitalité de la production et de la fréquentation. Himansu Rai, fondateur de la Bombay Talkies, meurt en 1940 et son studio ferme ses portes en 1952. L’année suivante, la Prabhat cesse toute activité de production, tandis que la New Theatres entame son déclin avec la disparition du prince Barua en 1951, époque à partir de laquelle les cinéastes bengal 稜 partent s’installer à Bombay. Cette disparition prématurée des studios s’explique par l’arrivée de nouveaux producteurs à la fin des années quarante. Alléchés par l’argent facile, ils proposent des cachets énormes aux stars qu’ils engagent au film par film, rompant avec la tradition des studios qui accueillaient des salariés sous contrat. Cette politique des cachets est à l’origine de l’aberrante situation actuelle: une star indienne peut être engagée sur trente films à la fois, tournant le matin dans l’un et l’après-midi dans un autre. Ces nouveaux producteurs, ignorants du cinéma, ont pour souci premier de blanchir de l’argent. Cette pratique courante s’appelle black money , et elle témoigne à sa manière du faible pouvoir de contrôle du gouvernement sur l’économie du cinéma.Cette explosion du système, dont on mesurera les ravages esthétiques à partir des années soixante (bâclage technique, imitation paresseuse des films à succès), a permis l’éclosion dans le cinéma hind 稜 d’individualités sachant concilier l’art (acteurs, réalisateurs) et l’industrie (producteurs, fondateurs de studios). On peut parler, à propos du Bombay des années cinquante, d’un véritable âge d’or du cinéma hind 稜. Khwaja Ahmad Abbas, avec Les Enfants de la terre (1946), premier film indien montré à Moscou, ouvre la voie vers un cinéma davantage ancré dans la réalité sociale. Fondateur de l’I.P.T.A. (Association théâtrale du peuple indien), membre du Parti communiste, il reste connu en tant que scénariste des principaux films de Raj Kapoor à partir du Vagabond (1951). Fils d’un célèbre acteur, lui-même acteur, Raj Kapoor, formé à la Bombay Talkies, est avec Mehboob Khan le cinéaste le plus populaire. Ses principaux films comme Le Cireur de chaussures (1954) et Mr. 420 (1955) témoignent de l’influence croisée des premiers Chaplin et des films de Frank Capra. De son côté, Mehboob Khan, contrairement à Raj Kapoor, d’abord tourné vers la peinture de la ville, se consacre à la description du monde paysan. Influencé par le cinéma soviétique, notamment Dovjenko, il compose de grandes fresques épiques dont les plus connues sont Mangala, fille des Indes (1952, premier film en Technicolor) et surtout Mother India (1957), où la star Nargis compose un personnage de Mère Courage en butte à l’injustice du monde féodal. Bimal Roy s’inscrit en revanche dans le sillage de K. A. Abbas. Formé à la New Theatres (il travaille sur Devdas), il s’installe en 1952 à Bombay et, marqué par la vision du Voleur de bicyclette , offre avec Deux Hectares de terre (1953) le modèle d’un néo-réalisme à l’indienne. Plus tard, s’éloignant de cette veine, il réalisera un remake de Devdas (1955) ainsi que Madhumati (1958), une histoire de réincarnation sur un scénario de Ritwik Ghatak. Tout comme Bimal Roy, Guru Dutt a quitté Calcutta pour Bombay. Après avoir étudié la danse dans la troupe d’Uday Shankar, réalisateur de Kalpana (1948) et frère du célèbre musicien, Guru Dutt, qui a appris son métier à la Prabhat, passe à la mise en scène tout en restant acteur. Chez Guru Dutt, les moments de musique et de danse, les enchaînements entre les scènes dialoguées et les scènes chantées sont extrêmement sophistiqués. De ce cinéaste-chorégraphe, on retiendra Fleurs de papier (1959), peinture amère du monde du cinéma, et surtout L’Assoiffé (1948), sombre et bouleversante évocation d’un poète maudit.Parallèlement à cette effervescence du cinéma hind 稜, le Bengale, par l’intermédiaire de Satyajit Ray (Aparajito , lion d’or à Venise en 1957), fera parler de lui. Marqué par le néo-réalisme et par sa rencontre avec Jean Renoir lors du tournage du Fleuve , le cinéma de Ray saura admirablement concilier le témoignage sensible d’une réalité présente où l’émotion prend toujours le pas sur l’action, tout en restituant les splendeurs d’une culture passée, celle de la Renaissance bengal 稜. Ray puisera son inspiration dans la très riche littérature bengal 稜, et l’écrivain Rabindranath Tagore sera la figure intellectuelle et politique qui nourrira son œuvre. Les principaux films de Ray (la trilogie d’Apu, 1955, 1956 et 1959, Le Salon de musique , 1958, Charulata , 1964, La Déesse , 1960) font de lui une des grandes figures du cinéma mondial. Néanmoins, son succès critique a quelque peu occulté le travail d’un autre cinéaste bengal 稜, Ritwik Ghatak, artiste maudit, mort rongé par l’alcool en 1976 et dont l’œuvre fut seulement découverte après sa disparition. Autant Ray est un cinéaste de la quête de l’harmonie et de la sensation du monde, autant Ghatak est un cinéaste de la rupture et de la déchirure, thématiquement et formellement. Originaire de Dacca, l’actuel Bangladesh, il se réfugie au Bengale après la partition, survenue un an après l’indépendance (1947). Ce qui explique que le thème de l’exil et de l’errance, celui de la quête d’une terre perdue, toujours promise, domine son œuvre. Son plus beau film, l’égal des plus grands films de Ray, est L’Étoile cachée (1961). Mrinal Sen est le troisième nom du cinéma bengal 稜. Dans le sillage de K. A. Abbas, son cinéma, plus engagé que celui de Ray, plus ghatakien sur le fond que sur la forme, se veut un témoignage concret et féroce sur la réalité qui l’entoure. De Mrinal Sen, il convient de signaler Un jour comme un autre (1980) et Une affaire classée (1983).La nouvelle vague, la télévisionLa création en 1960 de la F.F.C. (Film Finance Corporation) témoigne, de la part du gouvernement, du souci de se doter d’une infrastructure qui permette d’assurer la relève d’un cinéma d’auteur dont Satyajit Ray reste l’emblème. En finançant intégralement le projet d’un jeune cinéaste, le gouvernement jette la première pierre d’un édifice qu’il n’achèvera jamais. En effet, en ne créant aucun système de distribution approprié à ces films, en ne construisant aucun réseau de salles à leur échelle (du type «art et essai»), ces films, trop fragiles pour rivaliser avec le cinéma commercial, restent le plus souvent sans public, leur survie étant liée aux festivals étrangers. C’est seulement avec l’arrivée de la télévision nationale au début des années quatre-vingt, la Doordarshan, que ces films ont enfin trouvé une issue auprès des spectateurs.Cette hypothétique nouvelle vague est née à Bombay, en réaction contre le cinéma hind 稜 dominant. Son chef de file est Shyam Benegal, grand découvreur d’actrices (Shabana Azmi, Smita Patil), et l’homme du juste milieu, entre fresque à grand spectacle et chronique intimiste (Bhumika , 1977). À ses côtés, Mani Kaul et Kumar Shahani, anciens élèves de Ritwik Ghatak, revendiquent le dur prix de leur marginalité et de leur intransigeance. On doit au premier le très beau Duvidha (1973) ainsi que L’Homme au-delà de la surface (1981) et à Kumar Shahani Le Miroir de l’illusion (Maya Darpan , 1972) et Tarang (1982), avec Smita Patil. Dans les faits, le renouvellement du cinéma indien est venu du Sud, du côté du Karn taka (Bangalore) et du Kerala (Trivandrum). Samskara (Rites funéraires , 1970) de Pattabi Rama Reddy, qui dénonce la religion et les préjugés de caste, est le film phare de cette renaissance. Ce cinéma du Sud, tenu à l’écart de Madras par l’obstacle des langues, est un cinéma régional, enraciné dans sa culture, ce qui explique que Ray se soit reconnu en lui, qui se caractérise par un réalisme sensible, soutenu par une narration fluide et mélodique et conciliant beauté et émotion, ainsi que le démontre Le Tambour de Choma (1976) de B. V. Karanth. Au Kerala, au côté d’Aravindan disparu en 1991, Adoor Gopalakrishnan, admirateur du cinéma de Ray, s’impose, au fil d’une œuvre patiente et rigoureuse (Ascension , 1977, Le Piège à rats , 1981, Face à face , 1983, Monologue , 1988, Les Murs , 1990) comme la figure majeure de la nouvelle génération.De même que la récente disparition de Satayjit Ray laisse un vide incommensurable dans le cinéma indien, de même la vague déferlante des nouveaux supports que sont la télévision, le câble, le satellite, la vidéo pirate risque à terme d’entamer très sérieusement le monopole de l’industrie cinématographique. Jusqu’ici, la télévision, que son coût trop élevé réservait à un milieu social privilégié, n’avait pas réussi à mettre en danger la fréquentation du cinéma. Ces derniers temps, depuis l’ère de la projection publique en vidéo d’un film étranger piraté jusqu’à l’explosion du câble et du satellite, le danger est réel. Deux raisons rendent ces nouveaux circuits d’images attractifs. La première est qu’ils sont libres de toute censure, alors que la censure cinématographique, mise en place en 1918, témoigne toujours d’un puritanisme victorien très sévère. La seconde est que le cinéma indien, par télévision interposée, paie aujourd’hui le dur protectionnisme qu’il a imposé aux cinématographies étrangères. Seul l’avenir nous dira s’il s’agit d’une crise passagère ou du premier signe d’un déclin irréversible.
Encyclopédie Universelle. 2012.